Télétravail en temps de Covid-19 et refus de l’employeur ou du salarié
« Le télétravail, c’est la santé ». Telle pourrait être l’adaptation à faire aujourd’hui de la célèbre chanson de Henri Salvador. La crise sanitaire que traverse notre pays depuis de longs mois a fait du télétravail un instrument de lutte efficace pour la défense de la santé publique, contre la diffusion de la pandémie. Il contribue à limiter les interactions sociales et participe au respect des règles de distanciation sociale. Pour autant, des réticences quant à la mise en place du télétravail sont parfois constatées tant du côté des employeurs que, chose plus étonnante, du côté des salariés.
L’employeur craint parfois que son salarié ne soit pas concentré sur les tâches qu’il doit accomplir ou pire, décide d’opter pour l’oisiveté. Il peut estimer aussi que le télétravail est incompatible avec les missions de ses salariés ou craindre les éventuelles difficultés techniques et pratiques que la mise en place du télétravail est susceptible de générer dans l’entreprise.
Le salarié peut, quant à lui, avoir peur de l’isolement dans lequel le télétravail peut le placer et craindre de ne pas réussir à cloisonner vie professionnelle et vie personnelle et notamment ne pas réussir à « déconnecter » à la fin de la journée. Il peut aussi ne pas vouloir utiliser son propre matériel pour le travail, comme son ordinateur personnel si l’employeur ne lui en fournit pas.
La liste des réticences relatives au télétravail est longue. Mais ces réserves peuvent-elles fonder un refus juridiquement justifié de la part des employeurs ou des salariés de recourir au télétravail ?
Le renforcement du protocole sanitaire applicable depuis le 30 octobre 2020 a conduit à faire du télétravail la règle au sein des entreprises toutes les fois que sa mise en place est possible. Toutefois, les employeurs ont la possibilité, sous certaines réserves, de refuser de recourir au télétravail (I). En revanche, un salarié ne peut pas s’opposer en cas de circonstances exceptionnelles, comme cela est le cas avec la pandémie actuelle, à la mise en place de cette forme d’organisation du travail (II).
I. La possibilité pour l’employeur de refuser le télétravail
A. L’obligation de motivation du refus
Le télétravail est régi par les articles L1222-9 et suivants du Code du travail. Selon le premier de ces textes, le télétravail est mis en place dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, dans le cadre d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique, s’il existe (C. trav., art. L1222-9, I).
En l’absence d’accord collectif ou de charte, l’employeur et le salarié peuvent formaliser un accord concernant le recours au télétravail « par tout moyen » (C. trav., art. L1222-9, I).
L’article L1222-9, III, du Code du travail autorise l’employeur à refuser d’accorder le bénéficie du télétravail à un salarié qui peut y prétendre au sens de l’accord collectif ou, à défaut, de la charte, à la condition que le refus soit motivé, c’est-à-dire justifié. Ce texte impose également à l’employeur de motiver son refus de mettre en place le télétravail lorsque ce refus est opposé à un travailleur handicapé ou à un proche aidant.
En l’absence d’accord collectif ou de charte ou encore lorsque le salarié n’est pas un travailleur handicapé, le refus de l’employeur doit-il, lui aussi, être motivé ? Il peut être avancé que si le législateur a pris soin d’imposer une obligation de motivation en cas de refus du télétravail dans certaines hypothèses, cette obligation de motivation ne joue que pour lesdites hypothèses. L’obligation de motivation se limiterait donc aux cas où existeraient un accord collectif ou, à défaut, une charte ainsi qu’aux hypothèses où le salarié concerné est en situation de handicap.
Néanmoins, la prudence requiert que l’employeur motive toujours son refus de mettre en place le télétravail. Cela est d’autant plus recommandé en cette période de crise sanitaire où le télétravail est censé être appliqué toutes les fois que cela est possible.
La motivation peut consister dans la démonstration de la présence indispensable du ou de salariés au sein de l’entreprise pour en assurer le bon fonctionnement. Le refus peut également être considéré comme étant motivé quand l’employeur justifie qu’« aucune solution technique ne permet au salarié d’exercer son activité en télétravail »[1] ou que le poste occupé n’est pas « télé-travaillable », comme cela est le cas lorsque le salarié a pour mission de dispenser des soins à des personnes.
B. Les sanctions du refus injustifié ou abusif de l’employeur
Si un employeur ne motive pas son refus ou ne le motive pas suffisamment alors qu’il est tenu de le faire, si un employeur refuse de mettre en place le télétravail alors que les activités de ses salariés le permettent ou si un employeur refuse de le mettre en place dans l’intention de nuire à ses salariés, la responsabilité de cet employeur pourra être engagée.
Il pourra, en effet, lui être reproché un manquement à son obligation de protection de la santé et de la sécurité de ses salariés. Dans sa foire aux questions relative au télétravail en période de Covid-19, le Ministère du travail rappelle, en effet, que « lorsque les activités sont éligibles au télétravail, dans le contexte du risque épidémique, la mise en place du télétravail participe ainsi des mesures qui peuvent être prises par l’employeur pour assurer le respect des principes généraux de prévention et satisfaire à son obligation de protéger la santé et d’assurer la sécurité de ses salariés »[2]. Les salariés peuvent ainsi prétendre au paiement de dommages et intérêts dès lors qu’ils démontrent que le manquement de leur employeur à cette obligation leur cause un préjudice.
Suivant l’importance du risque que l’employeur fait courir à ses salariés en raison de son refus injustifié ou abusif, différents types de sanctions peuvent, en outre, être envisagées. L’Inspection du travail peut, par exemple, adresser à l’employeur une sorte d’avertissement en lui transmettant une lettre d’observations. L’Inspection du travail peut aussi adresser un rapport à la DIRECCTE afin qu’une mise en demeure soit faite à l’employeur de régulariser la situation dans un délai déterminé. L’Inspection du travail peut encore dresser un procès-verbal d’infraction puis le transmettre au procureur de la République, ce qui pourra éventuellement donner lieu, ensuite, à des poursuites pénales. Il est possible, en outre, de saisir le juge des référés afin qu’il ordonne les mesures qui s’imposent.
II. L’impossibilité pour le salarié de refuser le télétravail en temps de Covid-19
Dans le cadre du contexte épidémique actuel, le salarié ne peut pas refuser de télétravailler (A). Son refus n’est donc admis qu’exceptionnellement (B).
A. L’impossible refus du salarié en cas de circonstances exceptionnelles
Selon l’article L1222-9, III, du Code du travail, « le refus d’accepter un poste de télétravailleur n’est pas un motif de rupture du contrat de travail ». En temps normal, un salarié peut refuser de télétravailler sans risquer d’être licencié. L’accord du salarié pour télétravailler doit donc être recherché en principe.
Toutefois, l’article L1222-11 du Code du travail dispose : « En cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés ».
Évidemment, l’épidémie de Covid-19 relève des circonstances exceptionnelles visées par ce texte. Dans ces conditions, un employeur peut, en raison de la pandémie, imposer à ses salariés de télétravailler afin d’assurer la protection de leur santé et de leur sécurité et assurer le maintien de l’activité de l’entreprise. Les salariés ne peuvent pas alors refuser la mise en place du télétravail. Dans la mesure où le recours au télétravail constitue dans ce cas un aménagement du poste de travail, aucun avenant n’a à être signé par l’employeur et le salarié. Aucun formalisme n’est exigé.
B. L’exception de l’exception : le refus du salarié en cas de circonstances exceptionnelles
Dans le cadre de la crise sanitaire actuelle, un salarié peut-il refuser de télétravailler ? Existe-t-il des hypothèses dans lesquelles il peut être fait échec à l’obligation de consentir au télétravail en cas de circonstances exceptionnelles ? Le Ministère du Travail rappelle, dans sa foire aux questions, qu’en cas de circonstances exceptionnelles, le salarié ne peut s’opposer au choix de son employeur de mettre en place le télétravail dans son entreprise[3]. Toutefois, certaines situations doivent être prises en compte et peuvent donner lieu à ce que des salariés se rendent exceptionnellement sur leur lieu de travail[4]. Sont visés en particulier les travailleurs isolés. Il est demandé aux employeurs de prendre en compte l’éventuelle situation de souffrance de leurs salariés isolés et, en lien avec le médecin du travail, de les autoriser à se rendre sur leur lieu de travail, le cas échéant seulement certains jours, et ce dans le respect du protocole sanitaire.
En conclusion, malgré les réticences que le recours au télétravail a pu faire naître chez les employeurs et les salariés, la mise en place de cette forme d’organisation du travail permet de lutter efficacement contre la diffusion de la Covid-19. Elle incite en outre les entreprises à innover en développant une offre de services dématérialisée toutes les fois que cela est possible. Ainsi, le cabinet TERSOU LAGARDETTE ASSOCIES propose actuellement à sa clientèle l’accès gratuit à la plateforme ALT CONTROL qui permet la consultation à distance de l’ensemble des documents juridiques et comptables de leur entreprise, la commande en ligne de prestations et le suivi en temps réel de leurs dossiers.
[1] Eod. loc.
[2] Eod. loc.
[3] https://travail-emploi.gouv.fr/le-ministere-en-action/coronavirus-covid-19/questions-reponses-par-theme/article/teletravail-en-periode-de-covid-19
[4] https://travail-emploi.gouv.fr/le-ministere-en-action/coronavirus-covid-19/questions-reponses-par-theme/article/teletravail-en-periode-de-covid-19
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